Incroyables peintures d’Anselm Kiefer au Palais des Doges de Venise

Portrait d'Anselm Kiefer par Georges Poncet
Portrait d’Anselm Kiefer par Georges Poncet
Vue de l'exposition "Questi scritti..." d'Anselm Kiefer au Palais des Doges de Venise.
Photographie: Georges Poncet
Durant la 59ème Biennale de Venise, la Fondazione Musei Civici di Venezia (MUVE) a invité l’artiste Anselm Kiefer à investir une salle du mythique Palais des Doges jusqu’au 29 octobre prochain. Visite de l’une des plus belles exposition collatérales de la Biennale.

En exposant au Palais des Doges, Anselm Kiefer marche dans les pas d’illustres peintres ayant célébré le pouvoir vénitien, de Carpaccio au Tintoret, en passant par Véronèse, le Titien et bien d’autres. L’emplacement stratégique dans lequel Kiefer présente ses toiles monumentales, lui non plus, n’est pas dû au hasard : la Sala dello Strutinio est une pièce d’apparat réservée à différentes élections et en particulier la plus importante d’entre-elles, celle des Doges, les dirigeants de Venise.

Comme à son habitude, Anselm Kiefer amalgame l’Histoire – ici l’histoire locale de la Sérénissime – avec un ensemble de mythes ou de paraboles bibliques, par des allers-retours entre le local et l’universel. À un niveau local, la peinture située sur le flanc droit de la salle fait référence aux multiples incendies qui ravagèrent le Palais, en particulier celui de 1577, suite auquel la Salla dello Scrutinio fut reconstruite et décorée en hommage aux victoires militaires de Venise (la bataille de Lépante y côtoie celle des Dardanelles ou encore la victoire vénitienne sur les Turcs en Albanie). Ce tableau de Kiefer illustre sans équivoque la ville en proie au flammes, surmontée du lion de Saint Marc, symbole de la ville.

Vue de l'exposition "Questi scritti..." d'Anselm Kiefer au Palais des Doges de Venise.

Sur les autres murs, Anselm Kiefer semble vouloir raconter l’envers des enjeux militaro-politiques de Venise et ses conséquences sur les populations. L’exil y est une figure proéminente. Elle transparait dans une autre composition, incluant une caravane de chariots, vélos et tricycles chargés de marchandises. Cette file indienne semble voler au-dessus d’une saisissante perspective de champs boueux, à la matérialité toute palpable. Référence, peut-être, au mythe originel des Vénitiens, peuple de migrants fuyant les Huns, puis les Ostrogots et les Lombards pour s’installer dans ce marécage hostile, qu’ils ont changé en cité prospère à force de labeur et d’ingénuité.

Tableau de l'exposition "Questi scritti..." d'Anselm Kiefer au Palais des Doges de Venise.

À trop souvent saluer le florissant commerce vénitien, on oublie que ses habitants se sont aussi élevés par l’artisanat, le travail de la main et du corps, sur les îles alentours (le verre à Murano, la dentelle à Burano) et la terre ferme toute proche. C’est ce que semble célébrer l’artiste quand il fait figurer d’innombrables silhouettes, représentées par des vêtements de travail et des faux ou autres outils.

Détail de l'exposition "Questi scritti..." d'Anselm Kiefer au Palais des Doges de Venise.
Un foule de silhouettes hante la partie inférieure d’une composition sur un côté de la salle.

Sur le tableau central situé au fond de la salle, une composition figure en majesté une échelle verticale. Il ne serait pas surprenant d’y voir une échelle de Jacob tant Kiefer nous a habitué aux références judéo-mystiques. Là encore, elle s’élève au-dessus d’un paysage humide et incertain que l’artiste représente en y incluant de la matière organique et minérale. Par le soin qu’il apporte aux textures de ses œuvres, Anselm Kiefer arrive à faire dialoguer le détail avec les compositions dans leur ensemble. Là où d’autres artistes auraient pu se perdre dans l’immensité de tels formats (près de 6 mètres de haut) Kiefer livre une installation qui s’admire de loin, puis s’explore de tout près.

Vue de l'exposition "Questi scritti..." d'Anselm Kiefer au Palais des Doges de Venise.

Cet ensemble de 7 tableaux intitulé Questi scritti, quando verranno bruciati, daranno finalmente un po’ di luce (phrase tirée des écrit du philosophe vénitien Andrea Emo) est à voir absolument au Palais des Doges jusqu’au 29 Octobre 2022.