C’est un lieu commun de dire que la chimie est liée à l’art. Certes, l’évolution des pigments et des matériaux est une question chimique. Certes la photographie en elle-même est une réaction moléculaire. Mais ce dont nous parlerons ici, c’est de la chimie en tant que vocabulaire de forme : voyage dans l’infiniment petit à travers deux artistes contemporains.
Paysages organiques
Hicham Berrada est-il un laborantin ou un artiste ? C’est en tout cas son gout pour l’expérimentation qui semble guider son travail. Alors que l’artiste classique est sensé produire, Berrada ne fabrique pas d’objet mais se contente de révéler des processus chimiques. Comme le remarque très justement Alice Halter :
“Il n’y a pas de produit. Juste un agencement. […] C’est une action. L’intervention minimale d’un homme réduit à être agent, un agent parmi d’autres (sels, fluides, moteurs, aimants), un agent d’une mise en mouvement de processus physico-chimiques naturellement actifs bien qu’invisibles dans le monde concret.”
Hicham Berrada réalise ainsi des vidéos et des prises de vues de ses expériences. « Présage » (2007-2013) présente par exemple des images de mélanges qu’il réalise dans un bécher, formant un paysage de réactions chimiques.
Une fois agrandies, les formes qui apparaissent font penser à un écosystème sous-marin ou à une forêt tropicale. Ce microcosme se change en macrocosme, grâce à l’agrandissement d’échelle : une voie lactée s’organise dans l’étroitesse du récipient.
Avec « Natural Process Activation » et « Céleste » c’est à taille humaine que Berrada joue à l’apprenti sorcier. Il crée des nuages de fumée colorée dans un jardin à l’extérieur.
Enfin, avec son « Arche de Mendeleïev » (2010), l’artiste aborde la chimie avec une approche plus conceptuelle. Il reproduit en effet le fameux tableau de classification des éléments, sous forme d’une étagère remplie de petites fioles. Elles contiennent chacune un élément, formant à elles toutes l’ensemble des possibilités moléculaires. On retrouve l’idée d’un abrégé du monde, à l’image des encyclopédies et autres cabinets de curiosités.
L’émotion au microscope
Rose-Lynn Fisher travaille elle aussi sur l’infiniment petit, mais sur le biologique cette fois. Elle a commencé à s’intéresser aux abeilles, sur lesquelles elle a réalisé une série en 2010.
Mais c’est sa réflexion autour des larmes qui nous a éveillé notre attention lors d’une exposition au Palais de Tokyo (Le Bord des Mondes). En effet, la photographe agrandit différents types de larmes, émotionnelles, d’irritation ou d’hydratation, de qui donne des clichés d’une architecture organique fait penser à un urbanisme utopique. Des larmes de joies à celles du désespoir, chacune des sécrétions possède sa structure.
Là encore, du minuscule à l’immensément grand, il n’y a qu’un pas que Rose-Lynn Fisher a franchi grâce à ses vues aériennes de paysages terrestres. L’artiste s’explique:
“Travailler au microscope à travers plusieurs années de photographie a altéré ma perception des échelles et de la distance, et favorisé une sensibilité géographique.”
Hicham Berrada et Rose-Lynn Fisher, ou quand de jeunes artistes s’improvisent chercheurs en poésie.