Entre étrange et banal: l’équation Benaïnous

La jeune photographe diplômée de l’école des Beaux-Arts est polyvalente; elle multiplie les regards, entre mode, art, nature-morte. Focus sur quelques facettes de Johanna Benaïnous.

Étrange campagne

Son “Dormeur du val” n’est pas celui de Rimbaud. C’est un porc ! Un cochon énorme accompagné par son petit. Fleurs à la bouche, ils sont rivés au sol comme des masses. Le porcelet devient même « extraordinaire », lorsque la polarisation des couleurs le transforme en créature fantastique.

La mort était le sujet  de ces séries de photo prises en 2011 et 2012. La naissance sera celle de la suivante, mettant en scène un nou-veau-né englué dans son placenta. Un « ovni » dit-elle, tant l’image parait incongrue à l’homme urbain.

Naissance d’un Ovni 2012. Courtesy Johanna Benaïnous.
Naissance d’un Ovni, 2012. Courtesy Johanna Benaïnous.

Ces parties de campagne sont l’occasion pour Johanna Benaïnous de représenter l’étrangeté du vivant. Aussi microscopique qu’il soit, l’organique n’échappe pas au regard de la photographe, autant dans « Morphisme » (2012-2013) qu’avec  « Falling water » : deux objets photographiques non identifiés qui font surgir l’abstrait d’un réel miniature.

Johanna Benaïnous a le don de transformer le corps en objet. Elle l’exerce avec talent lorsqu’il s’agit de composer des natures mortes garnies de têtes flottantes. « Floating heads » comme elle dit (si la plupart des œuvres ont un nom anglophone, ce n’est pas juste pour le style, mais aussi car New-York est son second lieu de travail).

Un monde d’objets

Si johanna Benaïnous chosifie le vivant, l’inverse est vrai aussi : sous son objectif, l’objet s’anime d’un souffle poétique. On le voit à travers la série “Petites légendes et faux-ami”, comptines photographiques sans prétention. Mais ce qui nous semble le plus esthétiquement achevé est sa série de natures mortes (« Still Life »), dans laquelle elle prouve une incroyable maîtrise technique ainsi qu’un sens de la composition aussi japonisant qu’humoristique.

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Still life, New York, 2014. Courtesy Johanna Benaïnous.

Johanna Benaïnous la coloriste

La photographe de 23 ans ne se limite pas aux photos  « d’art ». Elle se moque un peu des catégories, en s’attaquant par exemple à la Mode. Et là encore, elle a déjà l’étoffe d’une pro. D’une part elle maîtrise la couleur, ses accords et ses jeux, d’autre part elle joue avec désinvolture avec l’esthétique photo amateur au flash, celle qu’on prend pour s’amuser en soirée (avec des fruits à la place des yeux par exemple).

Expérimentations

Trop trendy pourrait-on dire. Mais ce serait oublier que Johanna expérimente sans cesse des voies plus surprenantes, comme ses assemblages de portraits en noir et blanc (série « Enlevez-la moi »), ou moins séduisantes, comme le projet « A Couple of Them », dans laquelle elle incarne des personnages d’une touchante banalité avec l’aide de son binôme Elsa Parra.

Images du projet “A Couple Of Them“, Johanna Benaïnous & Elsa Parra

Un projet qui mérite quelques mots: à la marge entre photographie sociale et performance, les deux actrices incarnent des clichés du quotidien. “les personnages représentés sont tous banals, et pourtant nous rappellent tous quelqu’un” explique Johanna. A la fois proches et anonymes, ces figures pourraient être issus d’un reportage sociologique. Ce qui interroge la limite entre vérité et fiction.

Samuel landée