Département des Aigles: le vrai-faux musée de Marcel Broodthaers

Plusieurs panneaux du Musée d’Art Moderne de Broodthaers. photo: Monnaie de Paris.
jusqu’au 5 Juillet, la Monnaie de Paris accueille un musée utopique et pourtant bien réel: Le “Musée d’Art Moderne – Département des Aigles”, le projet fou de l’artiste Marcel Broodthaers. Visite d’une institution de l’absurde.

En 1964, un poète belge décide de présenter son nouveau recueil d’une façon originale: Il noie les carnets dans du plâtre avant d’exposer le tout dans une galerie d’art. Cet artiste improvisé, c’est Marcel Broodthaers. Pendant les 10 années de sa carrière fulgurante dans l’art contemporain, il ne cessera de questionner l’exposition, le musée, la présentation des œuvres, les œuvres elles-mêmes. C’est justement tout le sujet de son “Département des Aigles”, le musée d’Art Moderne qu’il réalise chez lui. La Monnaie de Paris a reconstitué des fragments des expositions qu’il présentait, pour mieux comprendre ses réflexions sur l’art.

Pourquoi Département des Aigles ? Broodthaers aurait choisi cet animal pour sa symbolique du pouvoir et de la noblesse. Il en fait l’emblème de son musée, comme pour mieux signifier l’emprise intellectuelle du monde de l’art sur les gens. Le musée est un lieu de pouvoir, quasi-sacré, c’est ce qu’il veut dire. C’est d’ailleurs avec une grande religiosité qu’il a accumulé des centaines d’objets représentant des aigles pour les exposer dans son musée (dans la “Section des Figures”). Ici il n’y a plus de hiérarchie: des pièces de vaisselle côtoient des tableaux de maîtres et chaque objet est numéroté de façon aléatoire. Comme si cela ne suffisait pas, Marcel Broodthaers indique sur chaque cartel “ceci n’est pas un objet d’art”.

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(photo: monnaie de Paris)

La Salle Blanche (1975)

Avant de découvrir cette collections d’aigles, on rencontre la “Salle Blanche” (1975). C’est la reconstitution d’une pièce de sa maison, dont il a recouvert les murs de mots. Les tableaux sont remplacés par ce texte noir issu du vocabulaire artistique. Les mots de l’art sans l’art.

Les objets exposés dans les autres salles ne sont pas non plus des œuvres d’art. Il s’agit de cartes postales reproduisant des tableaux, des publicités pour son musée, ou encore des caisses de transport. A tel point qu’on se demande si Broodthaers faisait exprès de ne rien exposer, ou d’exposer tout sauf de l’art. A moins que ce ne soit l’exposition en elle-même qui fasse oeuvre ? Une réflexion qui inscrit Marcel Broodthaers dans la liste des artistes Dada ou absurdes au même titre qu’un autre Marcel (Duchamp).

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Des mots en l’air

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En bon poète, Marcel Broodthaers aimait jouer avec les mots. Il les manipules comme des signes vidés de leur sens et leur attribue une valeur davantage graphique que sémantique. Ses références littéraires: Paul Valéry et Mallarmé.

L’art et sa valeur

broodthaers_museeDans la “Section financière” (1970) de son musée, ce sérial-philosopheur s’en prenait cette fois aux notions de valeur  dans l’art. Il réalisa une édition de lingots d’or frappés de l’emblème du musée, l’aigle. Le prix de ces lingots de 1kg était indexé sur le cours de l’or, que l’artiste doublait. l’objet était vendu comme une oeuvre d’art, certificat d’authenticité à l’appui. On peut voir l’un de ces trésors dans une salle de l’exposition. D’autres œuvres font références au lingot, comme “Museum-Museum”, associant des noms de peintres aux notions de faux, copies et original.

Broodthaers fait son cinéma

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Une partie importante des réflexions de Marcel Broodthaers est liée au cinéma. à travers ce médium, le poète s’en réfère encore une fois à ses modèles, comme La Fontaine, avec le film éponyme et René Magritte avec La Pipe. On pourra aussi visionner Un film de Charles Baudelaire, dans la pièce consacrée aux vidéos de Broodthaers.

Laissons donc à Broodthaers le mot de la fin, à propos de sa place dans le cinéma:

“Je ne suis pas cinéaste. Le film pour moi, c’est le prolongement du langage”

Samuel Landée