Dans l’atelier de Léonard Martin

L’artiste nous accueille à l’Orfèvrerie, ateliers artistiques abrités dans les anciennes usines Christofle de Saint-Denis. Portrait d’une figure montante de la scène artistique française.
Les maquettes des marionettes inspirées par Paolo Uccello hantent toujours l’atelier de Léonard Martin.

Leonard se réfère à Agamben ou Lacan, quand il ne cite pas son illustre homonyme. L’artiste approchant doucement la trentaine possède déjà un imaginaire bien ancré dans une constellation de références. Léonard Martin est conscient de s’inscrire dans une histoire de l’art en train de s’écrire. Il n’hésite pas à puiser dans un passé qui parait écrasant, comme celui de la Villa Médicis dont il ressort tout juste. À L’époque, la référence, c’était le peintre renaissant Paolo Uccello, transposé dans un présent mis en scène à l’aide de marionnettes géantes. Évitant les étiquettes, il désamorce tout de suite celle d’artiste passéiste : « Je ne suis pas nostalgique » dit-il, « pour moi, les artistes dont je parle ne sont pas morts. Au contraire, ils continuent à vivre avec nous, à faire partie de notre quotidien. »

Parata dei Giganti, 2019, vue de la Piazza Ognissanti (Florence), Institut Français Italie / Audi talents.

Nuage baroque

Pour son prochain projet – une structure géante au cœur de l’abbatiale de Fontevraud – c’est l’esprit du Bernin qui semble convoqué. La maquette préparatoire, que me montre Léonard dans son atelier, est un élégant brouillard d’éléments plissés, rappelant les plis de marbre blanc de l’Extase de Sainte Thérèse. Il s’agit d’une architecture nuageuse contenant une série de plateformes sur lesquelles pourront performer des comédiens.

Détail de l’Extase de Sainte Thérèse, Le Bernin, 1647-1652. Eglise Santa Maria della Vittoria, Rome photo: Alvesgaspar, Wikimedia Commons.

L’artiste avoue ne pas être indifférent au baroque, notamment à ses jeux de plissés. Il me parle de l’ouvrage de Gille Deleuze sur le sujet[1]. Puis il s’attarde sur les plis des noix :

« Comme elle est contrainte par sa coquille, la noix doit se plier pour continuer à grandir. Le pli est un moyen de contenir tout un monde dans un espace restreint. C’est pour cela que je l’utilise beaucoup, cela permet d’en dire plus en suggérant les parties cachées. »

Ligne, couleur, mouvement.

Dans l’éternel débat qui oppose la ligne au coloris, Léonard a choisi son camp : c’est la ligne qui l’intéresse. La couleur, dit-il, n’est qu’accidentelle. À l’aide de chutes de tissu, papier et autres matériaux de récupération, il joue avec les motifs, les rythmes et les textures. Son travail est avant tout une recherche empirique, un tâtonnement plastique. Les personnages de ses fictions n’ont cessé de grandir, depuis les premiers croquis animés aux Beaux-Arts, jusqu’aux marionnettes miniatures, puis géantes. Mais au contraire d’un marionnettiste en parfaite maîtrise de ses objets, Leonard laisse ses personnages s’exprimer par le jeu du hasard. Car le mouvement n’est jamais préconçu me dit-il, les figures s’animent elles aussi par accidents successifs.

Recherches plastiques à partir des motifs des Usines Fagor de Lyon. Le volume et les lignes sinueuses prennent le pas sur la couleur

Retour du Japon

Je suis donc dans le lieu ou cette magie du hasard opère, son atelier. Et ma seule présence ici peut bouleverser cette fragile gestation. Alors Leonard me prévient : « n’en dit pas trop sur mon projet japonais. C’est encore work in progress. » Ok, je me contenterai d’expliquer que l’artiste revient du Japon, où il fut invité à découvrir la Villa Kujoyama, équivalent nippon de la villa Médicis. Même au pays du soleil levant, Léonard est resté Léonard : il s’est inspiré des grands classiques de la littérature et des images qui l’accompagnent. Il a rapporté une édition illustrée du Dit du Genji, ce récit de cour du XIème siècle [2]. Intrigué par le dialogue entre lignes de perspective et ondulations des personnages, il a réalisé une maquette dans laquelle figurent ou errent des personnages fantomatiques. Il va se servir de ce décor pour trouver des angles et des cadrages intéressants à représenter. Affaire à suivre.

Page des Rouleaux illustrés du Dit du Genji (源氏物語絵巻, Genji monogatari emaki), illustrations du XIIe siècle de ce récit du XIe siècle.

Peut-on finalement résumer la démarche de Léonard Martin ? Si on la plie suffisamment pour la faire entrer dans une phrase – mais en évitant la coquille – on peut dire que cet artiste sait historiquement où il est et cherche plastiquement où il va.

Samuel Landée


[1] Deleuze, Gilles. 1988. Le pli: Leibnitz et le baroque. Paris: Editions de la Minuit.

[2] Murasaki Shikibu, and René Sieffert. 2007. Le Dit du Genji : illustré par la peinture traditionnelle japonaise du XIIe au XVIIe siècle = Genji monogatari. Vol. 3 Vol. 3. Paris: Diane de Selliers.