Hier est la mémoire d’aujourd’hui à l’espace Commines

Soly Cissé, Champs de coton, 2018, fer, soudure, fibres synthétiques, dimensions variables.
En marge du salon AKAA, l’Espace Commines expose une vingtaine d’artistes africains jusqu’au 11 novembre 2019. Une exposition qui nous invite à « faire le lien entre la mémoire collective et les souvenirs individuels dans la création artistique. »
Le champ de coton en tiges de fer rouillées que Soly Cissé avait présenté à la Biennale de Dakar se retrouve dans cette exposition. L’artiste associe la rudesse du métal, évoquant la violence de l’histoire coloniale, à la beauté formelle de l’installation.

Artisans du tissu social

« C’est là le seul vrai souci de l’artiste, de recréer, hors du désordre de sa vie, cet ordre qu’est l’art […] Son contexte étant l’histoire, les traditions, les coutumes, les postulats moraux et les préoccupations du pays, en bref le tissu social général »

James Baldwin

« Détricoter et retricoter » le passé et la mémoire, c’est ce que font ces artistes, parfois littéralement, à l’aide de matériaux traditionnels. Le lien avec l’artisanat africain est retrouvé et adapté aux formes de la création contemporaine. Le tissu est un medium privilégié, simple, universel, intemporel. Le textile possède non seulement des possibilités plastiques d’une richesse infinie, il révèle aussi, métaphoriquement, ce désir chez les artistes de retisser des liens distendus par une modernité uniformisante.

Têtes d’affiche

Abdoulaye Konaté, Vert touareg aux 3 cercles, 2018, textile, courtesy of the artist & Blain Southern.

Comme Abdoulaye Konaté, artiste mondialement reconnu, l’exposition présente quelques artistes phares qui sont comme une porte d’entrée vers la création africaine. Konaté occupe l’espace central avec une toile monumentale faite de morceaux de bazin assemblés avec précision dans cette composition abstraite. Les motifs inspirés des symboles berbères sont chargés de signification : le losange symbolise l’harmonie et le rond est un signe de protection.

Trou noir dans la peinture

Amado Alfadni, Kawoth, 2018, acrylique sur toile, 130 x 90 cm. Courtesy SOMA Art Gallery.

En résonance avec les questionnements artistiques d’aujourd’hui, Amado Alfadni constate la quasi-absence du modèle noir dans la peinture classique. C’est que la mythologie gréco-romaine, immense source d’inspiration pour la peinture depuis la Renaissance, manque de héros noirs. Pour assouvir ce besoin de modèle, cet artiste soudanais vivant en Égypte a recherché dans la mythologie nubienne les figures de ses peintures, recréant ainsi une histoire de l’art à sa couleur.

Amado Alfadni, série Mahungu, acrylique sur toile. Courtesy SOMA Art Gallery.

« Débris de justice »

Antoine Tempé, Débris de Justice, 2016, tirages sur papier, 90 x 120. Gauche: Cour Suprême vue d’ensemble n°1. Droite: Salle D. Courtesy Ycos project & Antoine Tempé.

C’est le nom d’une série de photographies d’Antoine Tempé, qui a arpenté les couloirs du Palais de justice désaffecté de Dakar. Il a ainsi saisi l’ambiance poussiéreuse de ce lieu, où jadis les drames humains se confrontaient à la loi. Un état transitoire avant sa réhabilitation pour y accueillir la biennale de Dakar.

« Indivision »

Mahi Binebine & Hassan Darsi, Indivision, 2018, goudron et poudre d’or sur métal, 150 x 150 cm

Mahi Binebine et Hassan Darsi présentent des peintures à quatre mains. Mahi Binebine y exhibe les fantômes qui peuplent l’histoire du Maroc et sa propre histoire familiale, lui qui est le fils de « l’amuseur » du roi Hassan II et le frère de celui qui a tenté de l’assassiner. Ces silhouettes qui mêlent le goudron et la poussière d’or, sont posées sur un fond noir-gris, un « off black » à la matité sensuelle.

Tous les artistes exposés

Amado Alfadni, Sanae Arraqas, Yassine Balbzioui, Mahi Binebine et Hassan Darsi, Soly Cissé, Ange Dakouo, Katia Kameli, Wanja Kimani, Abdoulaye Konaté, Moshekwa Langa, Lawrence Lemaoana, Aristote Mago, Senzeni Marasela, Randa Maroufi, Yvanovitch Mbaya, Kirubel Melke, Hyacinthe Ouattara, Antoine Tempé, Barthélémy Toguo, Baptiste de Ville d’Avray.

Une exposition à voir à l’Espace Commines, 17 rue Commines, 75003 Paris (12h-19h), jusqu’au 11 novembre 2019.

Samuel Landée

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