Le Lac aux Oies Sauvages, polar chinois de Diao Yinan

Diao Yinan, Le Lac aux Oies Sauvages, 2019 ©Memento Films
5 ans après Black Coal, Diao Yinan réinterprète le film noir. Un chef d’œuvre du genre.
Diao Yinan, Le Lac aux Oies Sauvages, 2019 ©Memento Films

Chasse nocturne

Les protagonistes tels des animaux sauvages évoluent dans une Jungle périurbaine. Un cygne, personnage de prostituée impassible interprété par Gwei Lun Mei (桂綸鎂), rencontre Zhou Zenong, un loup solitaire blessé, joué par Hu Ge (胡歌). Cette première scène résume à elle seule le nœud de l’histoire, et l’on navigue ensuite entre des flashbacks qui nous racontent les circonstances de cette rencontre : Zhou Zenong est un gangster en disgrâce dont la tête est mise à prix suite au meurtre d’un policier. Chez les forces de l’ordre comme chez les malfrats, on se mobilise pour retrouver l’homme recherché, car la récompense de 300 000 yuans attire toutes les convoitises. Quant à Liao Fan (廖凡), il incarne un personnage toujours aussi imposant que dans ses précédents films, mais il passe de l’autre côté du miroir : chef de gang dans Les Éternels de Jia Zhang Ke, il devient chef de police dans le Lac.

Liao Fan (廖凡) interprête le Capitaine Liu. Diao Yinan, Le Lac aux Oies Sauvages, 2019.

La comparaison entre ces deux films du même genre permet de comprendre la singularité de Diao Yinan. Alors que Jia Zhang Ke montrait l’évolution des personnages au fil des ans, dans des contextes différents, Le Lac nous enferme dans une triple unité étouffante, au goût de fatalité tragique.

Diao Yinan, Le Lac aux Oies Sauvages, 2019.

L’écosystème dans lequel évolue cette faune nocturne est une enclave rurale bordée par le Lac aux oies sauvages, un bas-fond peuplé de marginaux en tous genres. Un environnement étrange et incertain qui rappelle celui d’Un Grand voyage vers la nuit de Bi Gan (2008). On y retrouve le lieu archétypal de la place du village en fête, où se jouent les spectacles populaires et où s’animent les marchés de nuits. Une ambiance artificielle est ainsi posée, proche de celle des parcs d’attractions désaffectés des thrillers américains. Dans une version chinoise, plus labyrinthique et chaotique.

Hu Ge (胡歌) interprête Zhou Zenong. Diao Yinan, Le Lac aux Oies Sauvages, 2019 ©Memento Films

Cette atmosphère est l’occasion pour le cinéaste de jouer avec les lumières, réalisant ainsi un film allant vers l’abstraction. Les voiles translucides sont le support de jeux d’ombres. Tout s’anime autour d’une caméra flottante. Comme l’image, le son est lui aussi travaillé esthétiquement : clics de briquets et tirs de pistolet rythment le film comme un morceau de jazz.

Un film qui hérite à la fois de l’imaginaire des romans chinois de brigands et de l’esthétique du film noir hollywoodien.