Marché de l’Art en Asie : la vision de Magnus Renfrew

Portrait de Magnus Renfrew
Magnus Renfrew, courtesy magnusrenfrew.com
En quelques décennies, le marché de l’art a explosé en Asie, prenant Hong-Kong comme centre névralgique. La ville doit en partie cet essor artistique à Magnus Renfrew qui en a été l’artisan. Britannique de naissance et hongkongais d’adoption, il fonde en 2007 la foire ART HK, répondant au besoin encore insatisfait d’une grande foire de qualité en Asie. Le succès est tel qu’il pique la curiosité du puissant groupe MCH, propriétaire d’Art Basel. Après son rachat par la firme suisse, la foire ART HK sert de rampe de lancement à la désormais célèbre Art Basel Hong Kong, que Magnus Renfrew dirige de 2012 à 2014. Depuis, l’entrepreneur explore les possibilités asiatiques, en créant Taipei Dangdai sur l’île de Taïwan, puis ART SG à Singapour dont la première édition aura lieu en septembre 2020. En ces temps d’incertitude, Le Tour de l’Art a sollicité les lumières de Renfrew pour comprendre les évolutions possibles du marché de l’art en Asie.
LuxuryLogico, Wandering-Feather, sculpture cinétique, 2016, exposée par la galerie Eslite lors de la foire Taipei Dangdai 2020, courtesy taipeidangdai.com

LTdA : Entre les mouvements sociaux et le coronavirus, sans parler de la guerre commerciale sino-américaine, ces deux dernières années ont amené leur lot de crises sur l’archipel hongkongais. Que pensez-vous de l’idée du déclin de Hong-Kong, esquissé par certains observateurs du monde de l’art ?

MR : « N’enterrons-pas trop vite Hong-Kong. La ville bénéficie toujours de qualités inégalées pour le marché de l’art en Asie : Une situation géographique idéale, un système juridique international et le respect de la propriété privée. A mon avis, une fois la crise passée, Hong-Kong pourra non seulement rester le centre commercial de l’art, mais aussi devenir beaucoup plus attractive culturellement, avec par exemple l’installation de West Kowloon Cultural District et l’ouverture du musée M+. Les problèmes politiques que la ville a connu n’ont pas découragé les artistes hongkongais, au contraire ils leur ont fait sentir une forme d’urgence à s’exprimer. Hong-Kong s’est toujours montrée très résiliente dans les nombreux remous qu’elle a traversé. De plus, aucun autre pays de la région ne bénéficie de la situation fiscale exceptionnelle de Hong-Kong, ce qui restera un atout majeur pour les marchands et les collectionneurs. Bien sûr, certains problèmes, qui étaient là avant la crise, comme le prix exorbitant des loyers, continuent de peser sur le marché. Mais Je pense que Hong-Kong restera la place forte en Asie. »

Vue aérienne du quartier culturel de West Kowloon, sensé faire de Hong-Kong un spot culturel incontournable.

Donc il n’y a pas, derrière votre initiative de créer la foire Taipei Dangdai à Taïwan, une volonté de remplacer Hong-Kong par Taipei, comme hub artistique asiatique ?

Non, pas du tout. Art Basel HK et Taipei Dangdai ne sont pas du tout dans la même catégorie. Nous ne sommes pas concurrents. Avec cette nouvelle foire [la 2ème édition s’est produite en Janvier dernier, ndlr], nous souhaitons développer le marché local qui a énormément de potentiel. Taïwan possède une richesse incroyable ramenée à sa population. Taïwan est le 6ème plus grand marché dans la gestion de fortune privée, selon UBS, notre partenaire privilégié. De nombreux collectionneurs taïwanais sont chevronnés et sophistiqués.

Vue de la foire Taipei Dangdai 2020, avec l’installation “Stone Collection III” de Tse Su-Mei, exposée par la galerie Edouard Malingue, courtesy taipeidangdai.com

Le marché de l’art en Asie entre dans une seconde phase qui laisse la place à des foires régionales ou locales, à côté des mastodontes internationaux.

Comment expliquer le peu de poids de Singapour sur la scène de l’art ? Le Salon Art Stage Singapore a mis la clef sous la porte et d’autres événements ne semblent pas s’imposer. La cité-état aurait pourtant les atouts pour suivre le modèle hongkongais de hub régional.

Nous nous sommes posés la même question avant de fonder la nouvelle foire Art SG [30 Oct – 1 Nov], et nous avons conclu que c’était justement une opportunité de combler ce vide. Avec Art SG, nous avons un positionnement différent de celui de Taipei Dangdai. Alors que la foire taïwanaise vise le marché domestique, Art SG a des ambitions régionales. Je pense que Singapour peut être un hub culturel pour toute l’Asie du Sud-Est et même toucher l’Inde et l’Australie.

Le Marina Bay Sands, l'hotel emblématique de Singapour où se tiendra la première édition de ART SG
Le Marina Bay Sands, l’hotel emblématique de Singapour où se tiendra la première édition de ART SG, courtesy artsg.com

Et si l’on parle maintenant de Chine continentale, on perçoit une volonté politique forte de promouvoir Shanghai, comme un éventuel concurrent de Hong-Kong ?

Il existe à ce stade deux puissantes foires, Art 021 et West Bund Art & Design, qui couvrent ce marché important. À côté de cela, il y a aussi un réseau important de musées privés. Et on notera également le nouveau quartier West Bund qui concentre les institutions culturelles, dont le Centre Pompidou-Shanghai. Mais il reste trois défis pour le marché chinois : les problèmes de censure, une fiscalité élevée sur les importations et sur les ventes, et le défi des paiements internationaux [des restrictions rendent difficile le transfert d’argent en dehors de Chine, ndlr].

Que dire de la Corée du Sud, un pays très dynamique avec des galeries installées et prospères ?

C’est certain. Si je remonte à 2007, quand j’ai commencé à rechercher des opportunités en Asie, les deux marchés les plus forts étaient ceux de Taïwan et de la Corée du Sud. Ils abritaient ceux qui dépensaient le plus d’argent et de la façon la plus diverse en art. Leur marché intérieur est particulièrement solide. La Corée du Sud possède aussi le plus de fondations d’art privées que tout autre pays.

Enfin, pouvez-vous nous dire un mot sur le Japon, la 3ème puissance économique mondiale, jouant pourtant un rôle secondaire en art contemporain ?

C’est vrai que c’est un mystère. Les acheteurs japonais se sont brûlés les ailes lors du crash de l’art moderne et impressionniste dans le début des années 2000, et cela a pris un certain temps, mais à présent une nouvelle génération très active à tous les niveaux du marché arrive sur le devant de la scène. 

Oui, il y a l’exemple du jeune collectionneur Yusaku Maezawa qui a acheté il y a quelques années un Basquiat pour 110 millions de dollars. On remarque aussi l’installation à Tokyo de galeries réputées comme Blum and Poe en 2014 ou Perrotin en 2017. Ceci permet sans doute de donner un nouveau souffle au marché japonais.

Merci Magnus Renfrew pour cet échange instructif. Vous vouliez également ajouter une remarque générale sur le marché de l’art en Asie ?

Oui, Je voulais ajouter mon point de vue sur l’idée reçue d’une concurrence absolue entre les villes et entre les foires d’art. Les gens opposent souvent Hong-Kong et Shanghai par exemple, mais en réalité, les collectionneurs ne choisissent pas, ils se rendent dans ces deux villes. Quand un nouveau salon ouvre, ou quand une ville émerge, cela permet de développer le marché, de l’étendre. On ne se dispute pas les parts d’un gâteau, on le fait grandir.