Ruines, le revival

Axel Hütte, Hierapolis Night, 2017, galerie Nikolaus Ruzicska.
Durant cette édition 2019 de Paris Photo, on a pu remarquer à quel point les ruines sont (re)devenues un sujet dans l’air du temps. Retour sur ce thème sans cesse renouvelé, de la peinture de paysages à la photo contemporaine.

Peindre et photographier la ruine

Hubert Robert, Vue imaginaire de la Grande Galerie en ruine, 1796, huile sur toile, Musée du Louvre

La redécouverte de l’antiquité pendant la Renaissance fit naître le sujet de la ruine en peinture. L’essor du paysage comme sujet à part entière encouragea encore davantage la représentation de ruines. Elles sont réelles ou imaginaires, comme la Grande Galerie du Louvre qu’Hubert Robert imagine réinvestie par la nature sauvage. La ruine, sujet mélancolique par excellence, deviendra un leitmotiv des peintres romantiques, qui sauront l’envelopper de mystères. La célèbre « Abbaye dans une forêt de chênes » que Friedrich peint entre 1809 et 1810 semble habitée par des forces surnaturelles.

Caspar David Friedrich, L’Abbaye dans une forêt de chênes, 1809-1810, Alte Nationalgalerie.

L’essor de la photographie a accompagné celui de l’exploration du monde, qu’elle soit de nature archéologique ou ethnographique. Les ruines sont devenues un sujet récurent de la technique photographique.

Si, hier les ruines pouvaient symboliser la vanité des civilisations face au passage du temps, aujourd’hui, elles prennent un sens inédit, alors que l’humanité toute entière se retrouve confrontée au péril de son extinction. La représentation de ruines industrielles devient l’illustration de l’anthropocène.

Aperçues à Paris Photo, voici quelques démarches de photographes autour des ruines :

Ci-dessus et ci-dessous: Ursula Schulz-Dornburg, Temple of Baal, Palmyra, 2010, série de 7 photographies présentées par la galerie Luisotti.

La galerie Luisotti présente une série d’Ursula Schulz-Dornburg consacrée au site de Palmyre, photographié un an avant l’éclatement de la guerre civile syrienne. Des témoignages d’autant plus précieux qu’il ne reste aujourd’hui que des gravats de cette cité antique, suite au passage de l’État Islamique en 2015. On peut déceler dans ces images une proximité avec l’école de Düsseldorf, dans la forme sérielle, bien que la photographe revendique davantage l’influence des land-artistes et photographes conceptuels américains.

Axel Hütte, Hierapolis Night, 2017, photographie présentée par la galerie Nikolaus Ruzicska.

Axel Hütte, lui aussi caractérisé par un traitement austère dusseldorfois (il a été l’élève des Becher), expose « Traces of memory » sur le stand de la galerie Nikolaus Ruzicska. Pour cette série de 2018, Hütte est parti observer plusieurs cités gréco-romaines de Turquie (Milet, Éphèse, Aphrodisias, Sagalassos, Hierapolis). Les images de jours brumeux dialoguent avec des vues de nuit. Ces dernières expriment une certaine théâtralité, grâce à un éclairage dramatique, faisant se détacher les plans architecturaux.

Axel Hütte, Ephesos Night, 2017, diptyque photographique présenté par la galerie Nikolaus Ruzicska.

La Galerie Mélanie Rio Fluency expose une série de Philippe Chancel, le « Prologue » à Datazone, son exploration photographique du monde que l’on pouvait voir cet été aux Rencontres d’Arles. On peut y apercevoir, non sans peine, les pyramides nubiennes de Méroé au Nord du Soudan. Les images assombries, comme si le temps avait fait son œuvre, évoquent le déclin inéluctable des cultures. À Arles, ces photos noires faisaient pendant à une série d’images volontairement surexposées, représentant des cityscapes chinois, montrant à l’inverse l’essor de nouvelles puissances.

Quant à Josef Koudelka, il s’éloigne des considérations conceptuelles, s’intéressant à la beauté des 19 pays de la Méditerranée qu’il a parcouru, pour réaliser sa série « Vestiges ». Un travail d’une vingtaine d’année, soutenu par l’agence Magnum qui en expose un cliché panoramique sur son stand.

Koudelka, Delphes, Grèce, 1991. Magnum Photos.

Samuel Landée