7 jeunes photographes à découvrir à l’expo du Prix Louis Roederer
Cela fait plus de 20 ans que le Prix Louis Roederer défriche les nouveaux talents photographiques pendant les Rencontres d’Arles. Depuis l’année dernière, c’est à l’étage du Monoprix d’Arles, bâtiment iconique des années 1960, que sont présentés les 7 photographes en lice pour les 2 prix: celui d’un jury de professionnels et celui du public, pour lequel chaque visiteur peut voter. On vous présente en avant-première la cuvée 2025 (avec nos préférences).
« L’Assemblée de ceux qui doutent »
C’est le titre retenu pour exprimer la thématique commune aux 7 photographes: une mise à distance des discours officiels et de l’ordre établi, opéré par la photographie et la vidéo. L’image, véhicule trompeur par excellence, peut-elle être une alliée dans la quête de vérité ? C’est la question que nous posent les 7 photographes retenus, sous le commissariat de César González-Aguirre.
Zuzana Pustaiová, Rapport de sécurité
Dans sa Slovaquie natale, la photographe se fait enquêtrice pour révéler les falsifications d’un discours officiel sécuritaire. Zuzana Pustaiová s’attaque à un sujet ultra-sensible, littéralement radioactif: la sécurité autour de la centrale de Mochovce, la plus grande installation nucléaire du pays. Animée par la méfiance face à la communication rassurante des autorités, Pustaiová part interroger les riverains, recueillant à la fois leurs pensées et leurs doutes. La centrale devient prétexte à une réflexion sur la manière dont les gouvernements et le secteur des affaires construisent les discours de sécurité. Par cette démarche d’autrice, au delà de la photographie, elle met en évidence une politique de gestion de la peur, qui n’est pas propre à la Slovaquie.

Julie Joubert, Patria Nostra
Un titre qui résonne comme une promesse à ceux que la photographe a rencontrés: des membres de la Légion étrangère en France. C’est l’espoir d’une nouvelle patrie promise à des individus qui ont laissé leur pays, leur langue et leurs proches derrière eux. À travers le genre du portrait, Julie Joubert fait ressortir le plus intime de jeunes hommes formés dans l’abnégation, la discipline et l’oubli de soi. L’angle de la masculinité, évoqué dans le texte de présentation, me paraît s’effacer derrière la question de la l’ambivalence entre individu et collectif. Les corps photographiés apparaissent parfois dans leur physicalité la plus charnelle, et d’autres fois en tenue militaire, en groupe, comme faisant partie d’un corps collectif. Quelques documents donnés par les modèles complètent ce travail particulièrement touchant.
Denis Serrano, Hommes et paysages pour un acte de violence
La photographe mexicaine réalise ce qu’elle qualifie d’essai photographique, en mettant en parralèle deux sujets: la santé mentale des hommes et la violence sexiste dans les rues de Mexico City. Cette mise en relation pose la question d’un machisme structurel enraciné dans la culture mexicaine et qui joue au détriment des deux genres. Une vidéo révèle la violence du harcèlement par une voix off qui décrit les agressions subies par des femmes, pendant que défilent des photos d’hommes anonymes prises dans la rue, qu’on imagine être les auteurs de ces violences. D’autres portraits dessinés cette fois sont accumulés sur le mur d’à coté. Et plus loin, d’autres encore se détachent sur un fond de paysage montagneux. La toile de fond d’une société mexicaine oppressive se devine derrière la carte postale.

Heba Khalifa, L’Œil du Tigre
La consoeur photographe prolonge cette réflexion sur l’oppression des femmes, cette fois-ci dans le contexte du Caire, d’où Heba Khalifa est originaire. Elle recompose des fragments visuels de son enfance par le biais de collages, développant une esthétique surréaliste sous laquelle s’exprime la violence sourde de ses traumatismes. Sans la comprendre tout à fait, on ressent la lourdeur du silence qui entoure les jeunes filles, élevées sous le poids des traditions. Visuellement iconique, le travail de Heba Khalifa conserve un voile de mystère que le spectateur ne peut dissiper.
Musuk Nolte, Les Appartenances de l’air

Dans l’espace suivant est présenté le photographe qui emporte mon adhésion (et mon vote pour le prix du public). Dans la pénombre se déploie une série de photos en noir et blanc prises lors d’un séjour en amazonie péruvienne. Musuk Nolte raconte avec force l’expérience mystique qu’il a vécu grâce à l’Ayahuasca. Des images à demi effacées de félins évoquent des animaux-totems que l’on peut voir lors de tels “rêves éveillés”. Certains clichés sont des détails de portraits de l’ethnie Shawi que l’artiste a rencontrée dans le bassin de la rivière Paranapura. Ces images contrastées et rétroéclairées placent le public dans un état qui peut se rapprocher de ce que Musuk Nolte a vécu en Amazonie. Nul besoin ici d’une exégèse complexe pour ressentir cette puissante esthétique et comprendre la démarche du photographe.

Otavio Aguilar, Tajëëw et Kontoy
Le photographe suivant donne également la parole à un peuple indigène. Octavio Aguilar retrace la mémoire de Santiago Zacatepec au Mexique. Par la mise en scène photographique, il rejoue les mythes ancestraux que lui racontent sa grand-mère et d’autres habitants de cette région, dans la langue Mixe, dont il est un des rares locuteurs. Les images présentées donnent l’impression de mises en scènes enfantines, utilisant des accessoires à l’esthétique bricolée. Le spectateur est transporté par cette atmosphre onirique, bercé par le son du langage Mixe qui est diffusé par un haut-parleur placé dans la gueule d’un serpent de tissu, suspendu comme une effigie de fête traditionnelle.

Daniel Mebarek, Fotos Gratis
La dernière présentation est le résultat d’une expérience sociale menée par Daniel Mebarek dans la ville d’El Alto en Bolivie. Fotos gratis: « photos gratuites ». C’est ce qu’il a écrit sur un panneau devant un studio photo de fortune qu’il a installé sur le plus grand marché de la région. Les habitants curieux viennent spontanément discuter avec le photographe et se faire tirer le portrait. Derrière le prétexte de la photographie, cette expérience est l’occasion de créer du lien avec la population locale. Et du côté spectateur, c’est aussi un moyen de réfléchir au studio photo comme un dispositif typiquement occidental, outil colonial sous les autours de l’ethnographie.

Le Prix du Jury et le Prix du Public seront décernés le vendredi 11 juillet 2025. On souhaite bonne chance aux 7 photographes.
L’exposition du Prix Découverte 2025 Fondation Louis Roederer est à découvrir à l’Espace Monoprix, Place Lamartine, Arles, jusqu’au 5 Octobre 2025 (09h30 – 19h30).