Comme chaque année, les Rencontres d’Arles sont rythmées par le Prix Découverte Louis Roederer et le Prix du Public, qui récompensent deux jeunes talents et leur projet photographique. Les dix propositions présélectionnées sont exposées ensemble, dans le cadre grandiose de l’Église des Frères Prêcheurs, sous la curation d’une personnalité invitée. Cette année, la nationalité indienne de la curatrice Tanvi Mishra transparait dans la sélection, avec entre autres, plusieurs talents d’Asie du Sud.
Cette année, la photographe équatorienne Isadora Romero remporte le Prix Découverte et les visiteurs ont décerné le Prix du Public à Soumya Sankar Bose.
Voici notre sélection très personnelle des 5 projets qui nous ont marqué.
Samantha Box
Dès l’entrée, le visiteur est captivé par les Rêves Caribéens de Samantha Box qui se déploient face à lui. L’artiste retranscrit les influences créolisées qui l’ont vu grandir, sous la forme de compositions comme des natures-mortes contemporaines.
Un cliché montre des plantes traditionnelles caribéennes poussant sous la lumière synthétique, métaphore du déracinement identitaire de l’artiste vivant aux États-Unis
D’autres photographies mettent en avant leur caractère factice d’images mises en scène en studio. On y découvre une foule de détails, des fruits exotiques, des condiments industriels, des coquillages… Les images étant elles-mêmes ponctuées d’autocollants commerciaux et de tickets de caisse, allusion à la marchandisation des identités en cours.
Ce qu’on aime dans le travail de Samantha Box ? Le chaos foisonnant d’objets de toutes sortes, maintenus dans une structure digne des natures-mortes flamandes.
Hien Hoang
Une autre présentation interpelle : une scénographie rappelant celle d’un temple asiatique trône au milieu de la l’Église. L’écran du milieu montre une performance de l’artiste, apposant sur son corps des feuilles de riz alimentaire. De part et d’autre, des tentures associent l’érotisme d’un sein à l’exotisme d’un condiment asiatique : la bouteille de sauce soja. Un objet qui revient comme un leitmotiv dans les objets-images de la vietnamienne Hien Hoang. Les photographies imprimées sur des plaques d’acrylique déformées évoquent les déformations identitaires que l’artiste a subi, à l’instar de sa tante qui a émigré du Viet-Nam en Allemagne. « Tout va bien de l’autre côté de l’Océan », c’est la phrase qu’écrivait cette tante à sa famille restée au pays. À l’époque, en 1988, celle-ci simulait une vie lisse et paisible… qui n’avait rien à voir avec la réalité, comme s’en est rendue compte sa nièce en la rejoignant en 2014. La proposition de Hien Hoang, formellement audacieuse, exprime cet écart entre la face idéale des immigrés asiatiques et la dure réalité de leur vie en Europe.
Riti Sengupta
« Ce que je ne peux pas dire à haute voix » raconte une autre histoire de non-dits. C’est l’oppression domestique inavouable, que les femmes indiennes subissent dans leur quotidien intime. C’est le changement radical qui s’opère lorsqu’elle se marient, et passent d’une insouciante jeunesse à la pesanteur des responsabilités domestiques. Riti Sengupta s’en est rendue compte lorsqu’elle est retournée vivre chez ses parents à la faveur de la pandémie. Retrouvant d’anciennes photos de sa mère étudiante, Riti y a vu une tout autre personne que la mère sérieuse qu’elle avait toujours connue. Cette révélation est le point de départ d’une série de clichés aux accents surréalistes, que l’artiste a créé en collaboration avec sa mère. « Ce que je ne peux pas dire à haute voix » représente poétiquement la discrète pesanteur domestique qui s’exerce sur les femmes indiennes.
MD Fazla Rabbi Fatiq
La Pandémie de COVID19 pèse lourdement sur le Bangladesh. Les populations sont appelées à se confiner chez elles, ce que fait l’artiste en retournant dans sa ville natale de Comilla depuis Dhaka, la capitale, où il habitait alors. Pour MD Fazla Rabbi Fatiq, comme pour d’autres, cet enfermement est une période de doute et d’angoisse, où le quotidien se fait menaçant : tout devient suspect à la contamination. Dans un langage abstrait, faisant place à la matière, l’artiste traduit cette sensation d’étrangeté, face aux objets les plus familiers. Des aliments aux détails les plus organiques sont photographiés en gros plan, faisant disparaitre tout contexte. C’est une vision fantasmagorique que Fazla Rabbi Fatiq installe, nous faisant hésiter entre séduction et dégout.
Soumya Sankar Bose
C’est l’incroyable histoire d’une disparition suivie d’un trouble cognitif, racontée par Soumya Sankar Bose, qui a remporté le Prix du Public cette année. C’est celle de la mère de l’artiste, disparue lorsqu’elle avait 9 ans, dans l’Inde des années 1970. Le combat de ses parents pour retrouver leur fille a duré 3 ans, avant qu’elle ne réapparaisse, ne se souvenant de rien. La jeune fille retrouvée est atteinte de prosopagnosie : elle ne reconnait plus les visages, ce qui l’empêche d’identifier ses ravisseurs. C’est à partir de cette histoire familiale que Soumya Sankar Bose a enquêté pour réaliser le projet photographique « Discrète évasion dans les ténèbres ». Une expo qui mélange les genres, à la manière d’un docu-fiction, où les témoignages écrits côtoient des photographies mises en scènes et des images familiales retravaillées. Soumya Sankar Bose réussit avec talent à nous transporter dans une ambiance ésotérique, teintée de folklore et de superstitions indiennes, et ouvrant la voie à des interprétations surnaturelles pouvant expliquer ce drame familial.
L’exposition du Prix Découverte Fondation Louis Roederer
est à découvrir à l’Eglise des Frères Prêcheurs, à Arles
jusqu’au 27 aout 2023.