Avec la Fondation Luma, Maja Hoffmann offre à Arles un nouveau souffle

Tour de la Fondation Luma, photo Samuel Landée
Arles prend une dimension internationale en accueillant la Fondation Luma, le projet pharaonique de Maja Hoffmann.
Sa tour dessinée par Franck Gehry laisse présager “effet Bilbao” pour la ville de Camargue.
Les Arènes d’Arles, vestige de la puissance d’Arles pendant l’Antiquité.

Plusieurs milliers d’années nous séparent du temps où la cité antique d’Arelate rayonnait sur le monde antique, à tel point qu’on la surnommait la « petite Rome des Gaules ». Depuis, la ville d’Arles est revenue à la modestie. Avec ses 50 000 habitants elle fait pâle figure face à ses trois voisines, Nîmes, Avignon et Marseille. Mais Arles a une bonne étoile : un festival de photographie international qui a rendu la ville célèbre et qui en a fait un carrefour culturel, un lieu de rencontres. Pendant les premiers jours de ces Rencontres d’Arles, la ville devenait l’épicentre du monde culturel. Mais une fois l’été terminé, la ville replongeait dans la torpeur d’une ville touristique hors saison. Ce destin était amené à changer au début de l’année 2020 : le projet d’ampleur de la Fondation Luma, promis comme un phare culturel à l’influence mondiale, arrivait péniblement à son terme. Dans son sillage, les galeries d’art et les hôtels de luxe poussaient comme des champignons, anticipant les pèlerinages de plus en plus réguliers des amateurs d’art. La gentrification était en marche. Mais l’arrivée du Covid a bien failli gripper la machine. Symbole de la crise, la 51ème édition des Rencontres d’Arles, intitulée « Résistance », n’a ironiquement pas résisté à la vague d’annulations d’événements culturels : une première en un demi-siècle d’existence.

Un an après, la ville semble avoir repris son souffle. La Fondation Luma vient d’ouvrir officiellement au public, lançant la saison culturelle. Sa tour scintillante marque aujourd’hui le paysage arlésien comme un phénix renaissant de ses cendres.
La signature de Franck Gehry donne à l’institution et à la ville un prestige international : Arles apparait sur les guides des art-travelers. On ne peut s’empêcher de penser au destin de Bilbao, cette ville du Nord de l’Espagne qui a fait oublier son déclin industriel grâce au rayonnement culturel que lui a procuré le Musée Guggenheim ouvert en 1997 (lui aussi dessiné par Franck Gehry).

La comparaison n’échappe à aucun arlésien et tous espèrent un même élan pour la capitale camarguaise. Au premier rang desquels Patrick de Carolis, le nouveau maire fraichement élu. Interrogé par France Culture, il relativise : « Arles n’est pas Bilbao […] Bilbao n’avait que ça ; nous avons beaucoup d’autres choses. Arles est l’un des berceaux de la romanité avec huit monuments inscrits au patrimoine de l’Unesco, nous avons une histoire, les Rencontres de la photo, des festivals de musique comme les Suds… » Pour autant, l’édile ne dédaigne pas l’attractivité supplémentaire apportée par la Fondation Luma, mais il met en garde : « c’est aussi un immense défi ; il faut concevoir une structure d’accueil en matière d’hôtellerie, de transports… 1,5 million de visiteurs sont reçus chaque année et on parle de centaines de milliers de personnes qui viendraient en plus nous visiter. Il va falloir rénover la voirie, créer des pistes cyclables, des voies douces, des hôtels, des parkings, etc. ». Patrick de Carolis le sait bien « l’effet Bilbao » comme on l’appelle, est à double tranchant : non seulement les infrastructures doivent suivre, mais le risque d’une ville à deux vitesses n’est pas loin. Le manque d’inclusivité de Bilbao a été pointé par plusieurs observateurs. Une fondation privée créée par une grande fortune a-t-elle sa place à Arles, une ville avec un de taux de pauvreté de 24% et un taux de chômage de 15% ?

Vue sur la Tour de la Fondation Luma depuis le Parc des Ateliers, 2021.

Oui répond Maja Hoffman, la fortune en question. La tour est « un lieu ouvert, pas une citadelle » affirme-t-elle dans les colonnes du Monde. Et les jardins de 7 hectares qui l’entourent se veulent inclusifs (leur accès est gratuit) en plus d’être écologiques. C’est ce qu’on peut lire en détail sur le site de la Fondation, dont la FAQs désamorce avec soin les nombreuses polémiques. Mais au-delà du discours, il faut aller sur place pour évaluer à quel point le public s’approprie cette nouvelle institution.

L’accès à la Tour est aisé, malgré la réservation obligatoire (Covid oblige) et à l’intérieur, nul ne semble intimidé par ce labyrinthe architectural. Au contraire, le public déambule librement dans les étages comme sur les terrasses. Pour beaucoup de jeunes, l’immense toboggan de Carsten Höller est le point d’orgue de ce terrain de jeu. Quant au Parc des Ateliers, les jardins alentours réhabilitant des anciens bâtiments de la SNCF, ils sont devenus le lieu de rendez-vous des familles arlésiennes. Que dire des expositions d’art contemporain ? Elles profitent également d’un public de curieux, qui sans être forcément initiés, s’amusent d’installations choisies pour leur aspect ludique. Un petit tour dans la galerie principale située au rez-de-jardin nous permet d’apprécier une partie de la collection d’art contemporain de Maja Hoffmann.

Hans-Peter Feldmann, Shadowplay, 2009, installation.

Parmi nos coup de cœurs, Le théâtre d’ombres Shadowplay, fabriqué par Hans-Peter Feldmann avec les moyens du bord. Il suffit à l’artiste de projeter sur grand écran des silhouettes de jouets et d’ustensiles pour nous plonger dans un petit monde de conte de fées. Pourtant Feldman nous montre les ficelles du spectacle : les objets attachés grossièrement avec du scotch, sans volonté d’embellir le dispositif. Rien n’empêche la magie d’opérer.

Autres pièces qui font leur effet : la série « The Days of This Society is Numbered » de Rirkrit Tiravanija. Plusieurs immenses collages de journaux en toile de fond à cette phrase peinte au pochoir. Une erreur grammaticale comme un grain de sable qui fait dérailler une société effrénée. Remarquable aussi, la fresque en céramique d’Etel Adnan recouvrant le fond de l’auditorium. On attend avec impatience la programmation pluridisciplinaire promise.

Rirkrit Tiravanija, The Days of This Society Is Numbered, 2010, acrylique et papier journal sur toile de lin.

Etel Adnan, Céramique murale, 2021, Auditorium de la Tour Luma.

Avec son attention portée au public, autant qu’au prestige de la ville, La Fondation Luma et sa tour resplendissante s’affirment comme des arènes d’un temps moderne, un nouveau Colisée. Ce joyau permettra-t-il à Arles de retrouver la splendeur d’une « Rome des Gaules » ?  


par Samuel Landée

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