« Belle : n.m. Beau : n.f. »
Cette galerie d’art privée au nom malicieux vient d’ouvrir ses portes dans un hôtel particulier historique du centre d’Arles. Sa directrice Pia Copper a réinvesti le rez-de-chaussée d’une demeure appartenant à une famille de notables arlésiens depuis plus de trois siècles. Le Docteur Rouvière y recevait jadis en consultation toute la bourgeoisie locale. L’esprit de ce cabinet médical a été conservé par la directrice et mis en scène par l’artiste Julien Batifol grâce à une scénographie dépouillée qui laisse apparents des outils et instruments de médecin : squelettes, mètres et meubles techniques servent de supports à la présentation d’une sélection d’œuvres, autour du thème du Beau et du Bien. C’est le sens du Manifeste Aesthethic imaginé par Julien : une réconciliation entre les notions d’éthique et d’esthétique, renouant ainsi avec la vision gréco-romaine. À l’extérieur, une plaque de métal reprenant le texte du manifeste, selon les codes des plaques de médecin, annonce que nous entrons dans un lieu de guérison par le Beau, un cabinet d’art d’un genre nouveau.
Le hall d’entrée nous plonge dans une ambiance silencieuse et austère et nous sommes accueillis par un monumental dessin de l’artiste chinois Qiu Jie (邱节). Sur l’immense feuille de papier de 2,4 mètres de haut, des personnages typiques de l’imagerie maoïste posent avec une touchante désuétude devant un décor où l’urbain s’intègre au paysage, à la manière des peintures chinoises anciennes. Dans ce même hall d’entrée est présenté une édition limitée du texte du Manifeste Aesthethic, signée et numérotée par l’artiste. Derrière un imposant comptoir sont exposées diverses autres œuvres, encadrées ou non, comme autant d’indices sur la biographie de la directrice.
Qiu Jie, Two Swallows (Deux Hirondelles), fusain et couleurs sur papier, 240 x 166 cm
Car avant d’atterrir à Arles, Pia Copper a suivi une carrière atypique. Fille d’un célèbre géologue canadien qu’elle suit jusqu’à Pékin, Pia grandit en Chine et tisse des liens d’amitiés avec les plus grands artistes du pays. Présente à la fin des années 1990, elle y témoigne de l’explosion de l’art contemporain et devient le sherpa des grandes galeries d’art en quête de talents. En France, on la connait pour avoir créé le premier département d’art contemporain chinois d’une maison de vente aux enchères, chez Artcurial. Pia Copper possède un radar à dynamisme culturel, ce n’est donc pas un hasard si Arles est devenue sa ville fétiche depuis quelques années (elle y partage sa vie avec la capitale). La galerie « Belle : n.m. Beau : n.f » est l’occasion pour elle de rassembler tous les talents qu’elle a côtoyé autour d’un lieu intime et personnel.
Pia Copper aux côtés d’Ai Weiwei, courtesy Pia Copper.
L’un de ces talents, Naomi Cook, déploie dans une pièce de l’exposition les séries les plus emblématiques de son travail. L’artiste canadienne explore les sujets de l’intimité et de la vie privée à l’ère digitale. Ce sont d’abord ses expériences amoureuses qu’elle raconte dans une série d’œuvres réalisée à la suite d’une séparation. Un bouquet de roses, photographié, retouché, imprimé, tissé par des spécialistes français du jacquard, et enfin rebrodé par l’artiste. Ce sont les différentes étapes d’un deuil amoureux, dont le temps est le matériau incompressible.
Naomi Cook, Roses, tapisserie en jacquard brodé, 113 x 81 cm
Même médium textile, autre sujet : la chance est analysée poétiquement par l’artiste à partir de la figure du trèfle à quatre feuilles. Naomi Cook s’est plongée dans la science pour comprendre comment se forment ces spécimens et pourquoi certaines personnes les trouvent plus facilement que d’autres. La génétique vient au secours de la croyance et les différentes manipulations de l’image évoquent les mutations des plantes. La dernière étape du processus créatif est là encore une tapisserie en jacquard rebrodée par l’artiste, apportant un peu de délicatesse dans la froideur du discours scientifique.
Portrait de Naomi Cook devant l’oeuvre Napoleon’s clin d’oeil (2019, tapisserie en jacquard brodé, 66 x 87 cm). photo: Samuel Landée
Parmi les nombreux artistes exposés, quelques chinois figurent en bonne place. C’est le cas de Han Bing, un artiste performeur au corps androgyne et dont les autoportraits rappellent les photos de Ma Liuming (马六明), un pionnier sur le sujet de la transidentité dans la Chine des années 1990. Le corps comme sujet est omniprésent au sein de l’exposition. Parfois l’érotisme joue avec la matière, comme avec le nu en ciment sur toile de Li Bo, ou la main en silicone et huile sur toile de Wang Yu. Ce corps omniprésent se rapporte au thème central du Beau et résonne avec l’ambiance médicale de cet ancien cabinet.
Après une année de bouleversements et d’isolement, il était donc urgent que l’esprit du Docteur Rouvière ne revienne soigner les âmes en quête de beauté. Belle Beau sonne comme un remède simple et universel à la morosité. Une visite par jour pendant 7 jours.
La prochaine exposition qui se prépare chez « Belle : n.m. Beau : n.f. » et qui ouvrira ce dimanche 4 Juillet, se consacre à la photographie et coïncide avec l’ouverture des Rencontres d’Arles. La galerie sera accessible sur rendez-vous uniquement, en prenant contact avec la directrice Pia Copper.
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