Yang Fudong, Colored Sky: New Women II

Du 18 avril au 30 mai 2015, la galerie Marian Goodman présente “Coloured Sky: New Women II”, la dernière installation vidéo de Yang Fudong. C’est l’occasion de revenir sur la carrière internationale de cet artiste à mi-chemin entre l’art vidéo et le cinéma.

En effet, on peut qualifier Yang Fudong, de peintre du cinéma. D’une part parce que sa formation de peintre à la China Académy of Art (ex Zhejiang Academy of Fine Arts) de Hangzhou (1991-1995) lui a permis de se familiariser avec les formes picturales. Ainsi, les cinq actrices[1] qui jouent dans New Women I [2], (le volet précédant l’expo actuelle), prennent toutes des poses très connotées « peinture classique ». Le spectateur européen est familiarisé avec cette silhouette qui pourra lui rappeler Ingres entre autres.

Yang Fudong New Women, 2013, installation vidéo sur 6 écrans, capture d'écran, Shangart Gallery, source Creative Asia.net
Yang Fudong, New Women, 2013, installation vidéo (image de la vidéo).

D’autre part, les installations vidéos de Yang vont plus loin qu’une simple projection dans une salle de cinéma. l’artiste réalise plusieurs vidéos qu’il diffuse en même temps sur des écrans qui entourent le public. Ainsi, il est impossible d’embrasser du regard tous ces écrans d’un seul coup. Yang est considéré comme un artiste plasticien car il fait fi du quatrième mur institué au cinéma, nous détournant ainsi d’une réelle immersion dans l’histoire.

Vue d'une installation vidéo issue de l'exposition Yang Fudong Estranged Paradise. Works 1993 – 2013 à la Kunsthalle de Zürich
Vue d’une installation vidéo issue de l’exposition “Yang Fudong: Estranged Paradise. Works 1993 – 2013” à la Kunsthalle de Zürich

D’ailleurs il n’y a guerre d’histoire au sens narratif du terme. On décrira plutôt ses œuvres par leur cadre, leur ambiances et par les protagonistes qui les hantent plutôt que par une dramaturgie. Les héros sont bien là mais l’action n’est plus. Absence d’action dans la forme, traduisant un sujet de fond: la mélancolie. Ainsi, quand l’artiste s’exprime sur son premier film (An Estranged paradise, 1997-2002), voici ce qu’il dit:

“Le protagoniste, Zhu Zi représente précisément cette attitude perçue chez mes jeunes contemporains – cette incapacité à aboutir, à agir, à créer quelque-chose.”

Cette mélancolie de l’inaction, cet « ennui existentiel » se retrouve dans ses films ultérieurs comme dans ses séries de photographie. Par exemple, celle qui s’intitule Don’t Worry, it will be better montre des jeunes gens qui pourraient être les jeunes qu’évoque Yang.

Dans un appartement, ils représentent la classe moyenne chinoise. La phrase écrite en blanc sur fond rouge au coin de chaque photographie (Dont worry, it will be better) change pourtant le sens de leur attitude sereine ou impassible. Le bonheur que montrent les photographies se transforme en doute à la lecture de cette légende. Ce même doute existentiel semble toucher ce First Intellectual issu d’une autre série de Yang.

Sur les trois images de cette série, il est hagard, ne sachant vers qui lancer la brique qu’il a en main. Encore une fois, le titre blanc sur fond rouge est placé dans l’image. Le texte est évidemment une référence au graphisme publicitaire, et se place dans le contexte des années 1990, où la publicité se fait de plus en plus présente en Chine.

Une esthétique cinématographique.

Dans l’image même de ses films, Yang Fudong s’inspire aussi du cinéma. D’ailleurs, l’artiste cite quelques noms de films des années 1940 comme étant fondateurs de son esthétique[4].  On distingue très nettement cette influence dans l’installation New Women de 2013 citée plus haut[5]. Celle ci présente, sur 5 écrans disposés autour du spectateur, des images en noir et blanc de femmes prenant différentes poses. « Ce film est un hommage au cinéma chinois naissant » dira l’artiste[6].

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On le voit dans la coiffure, les bijoux, le maquillage des actrices. Le travail de l’image en studio, avec projecteurs, fond, dramatisation de la lumière, augmente la sensation d’artificialité propre au cinéma. Même le titre est un clin d’œil à la New Woman du cinéaste Cài Chǔshēng (蔡楚生) en 1935[7]. (Dans le film, cette Nouvelle Femme, belle, jeune et instruite (elle est professeure) est tiraillée par tous ses prétendants dont l’un causera sa perte).

New Women II: changement vers la couleur

Le second volet de New Women, celui qui est présenté actuellement à la galerie Marian Goodman est peut-être un tournant dans la carrière de Yang. En effet, les vidéos projetées sont en couleur, pour un effet très édulcoré. Yang Fudong semble se rapprocher de plus en plus de cette esthétique publicitaire. Une image léchée, lisse, des poses stéréotypées, tout renvoie à l’artificialité de la pub  de luxe. à un détail près: Il n’y a pas de musique, la bande son diffuse les bruits des mouvements des jeunes filles, créant un trouble mystérieux.

Aussi, la lumière des projecteurs et l’attitude faussement joyeuse des actrices pourront rappeler les images de propagande. Yang Fudong,  fait à sa manière la synthèse entre ces deux imageries, publicitaire et de propagande, pour un résultat à la fois tendre et aseptisé, étrange et séduisant.

 2015-04-18 18.06.33

 Samuel Landée


Notes

[1]          Zhang Lingzi (张灵子), Anita Hawkins, Li Lingxi (李翎溪), Wu Yandan (吴艳丹), Liu Tianyi (刘天怡)

[2]             Yang Fudong, New Women, 2013, installation vidéo en noir et blanc sur 5 écrans (galerie Shanghart, commande du Toronto International Film Festival )

[3]              Yang, Fudong, and Marcella Beccaria. Yang Fudong. Milan, Italy: Skira, 2006. Print. Traduit par moi-même. Texte original : “The protagonist Zhu Zi represents precisely this aspect that I saw in my young contemporaries – this incapacity to bring things to resolution, to act, to create something. »

[4]             Baqianli luyun he (Moon and Clouds Over the Eight-Thousand-Mile Road), 1947, Shi Dongshan, Wūyā yŭ Máquè (乌鸦与麻雀, Crows and Sparrows), 1949, Zheng Junli, Xiao chen zhi chun (Spring Time in a Small Town), 1948, Fei Mu. Source : Yang, Fudong, and Marcella Beccaria. Yang Fudong. Milan, Italy: Skira, 2006. Print., p.19

[5]             Yang Fudong, New Women, 2013, installation vidéo en noir et blanc sur 5 écrans (galerie Shanghart, commande du Toronto International Film Festival )

[6]    Gaskin, Sam, « The trouble with Yang Fudong’s New Women » in Creative Asia (site internet). Lien : http://www.creative-asia.net/content/trouble-yang-fudong%E2%80%99s-new-women traduit par moi-même. Texte original : « New Women […] is a tribute to nascent Chinese cinema »

[7]    Cài Chǔshēng (蔡楚生), New Women ou New Woman (新女性;, Xīn nǚxìng), 1935, film muet, noir et blanc, 106min, Lianhua Film Company.

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