Chen Zhen, Double Exil : l’exposition événement à la Galleria Continua

Portrait de Chen Zhen © ADAGP, Paris
Portrait de Chen Zhen © ADAGP, Paris
Jusqu’en janvier 2024, la Galleria Continua rend hommage à une étoile filante de l’art contemporain chinois : décédé en 2000 à 45 ans seulement, Chen Zhen a constitué un corpus à la dimension universelle, en à peine plus d’une quinzaine d’années de carrière. La Galleria Continua, qui l’a rencontré en 1999, lui consacre l’entièreté de ses 800m2 parisiens à l’occasion d’une rétrospective à l’ambition muséale.
Portait l'artiste, Shanghai, 1986. Source: Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoia
Portait de l’artiste, Shanghai, 1986. Source Chen Zhen, Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoia
Autoportrait, c.1970, huile sur toile. Source: Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoia
Autoportrait, c.1970, huile sur toile. Source Chen Zhen, Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoia
Une exposition majeure

Occupant les trois niveaux de la galerie de la rue du Temple, l’exposition « Double Exil » se veut une rétrospective, couvrant l’intégralité de la carrière de Chen Zhen, depuis la période où l’artiste résidait en Chine, et déployait encore son langage en peinture. Face à Qi flottant, deux œuvres exposées à l’étage de la galerie, qui expriment ce concept chinois de souffle vital, on voit déjà poindre le détachement de Chen Zhen par rapport à l’imitation picturale du réel.

Qi Flottant - Instant, c. 1985, huile sur toile. source: Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoria.
Qi Flottant – Instant, c. 1985, huile sur toile. source: Chen Zhen, Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoria.
Qi Flottant - La Porte féminine, c. 1985, huile sur toile. source: Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoria.
Qi Flottant – La Porte féminine, c. 1985, huile sur toile. source: Chen Zhen, Before Paris, 2017, Gli Ori, Pistoria.

C’est son exil en France, en 1986, qui marquera l’abandon définitif de la peinture. L’artiste se consacrera désormais à l’installation et à la sculpture, avec la récupération d’objets du quotidien comme marque de fabrique.

Chen Zhen, oeuvre murale exposée à la Galleria Continua, exposition Chen Zhen, Double Exil
Chen Zhen, oeuvre murale exposée à la Galleria Continua, exposition Chen Zhen, Double Exil

Ses premières sculptures murales réalisées sur le sol français, s’observent toujours comme des tableaux : des cages de métal renferment des objets oxydés, corrodés par les éléments naturels, tandis que des morceaux de texte français, anglais ou chinois sont imprimés sur des surfaces, multipliant les niveaux de sens.

Chen Zhen, L'Autel n°15, 1993, installation murale. source Chen Zhen, After China, 2017, Gli Ori, Pistoia.
Chen Zhen, L’Autel n°15, 1993, installation murale. source Chen Zhen, After China, 2017, Gli Ori, Pistoia.
Le naturel, l’artificiel

Le thème de l’association du naturel et de l’artificiel se dégage clairement de cette période, où Chen Zhen cherche à effectuer une synthèse, ou un dialogue qui ne soit ni conflictuel, ni harmonique. L’artiste résume sa vision dans un entretien avec Jérôme Sens en 1992 :

« L’union, certes, mais à travers une confrontation plutôt violente et non par une harmonie superficielle. Ainsi, lorsque je dépose un objet dans l’eau ou dans la terre ; […] ou quand je plante mille quatre cent roses en plastique sur deux mètres cubes de bouse de vache… Autant de dispositifs qui montrent ma volonté d’aboutir à une relation équilibrée, tout en installant une rencontre déséquilibrée. […] je tente simplement de mettre en place une convivialité où ces deux « antagonismes » se développent ensemble dans un silence médité. »

Publié dans After China, 2017. Gli Ori, Pistoia

Au détour d’une salle de la Galleria Continua, on se retrouve face à cet immense mur de roses en plastique, aux contrastes époustouflants, d’une face à l’autre : rouge vif / brun terreux, pur artifice/ nature concrète, régularité ordonnée / chaos informe…

Chen Zhen, Le produit naturel - Le produit artificiel © ADAGP, Paris. Courtesy Galleria Continua
Le produit naturel – Le produit artificiel © ADAGP, Paris. Courtesy Galleria Continua
Chen Zhen, Le produit naturel - Le produit artificiel (détail) © ADAGP, Paris. Courtesy Galleria Continua
Le produit naturel – Le produit artificiel (détail) © ADAGP, Paris. Courtesy Galleria Continua
La médecine, la maladie

La vie de Chen Zhen est marquée par une ironie tragique qui a profondément influencé son travail. Né en 1955 à Shanghai, l’artiste grandit dans une famille d’intellectuels qui compte plusieurs médecins et chercheurs dans le domaine de la santé.

C’est à l’âge adulte qu’il développe une maladie rare que personne ne semble pouvoir arrêter. Son système immunitaire se dégrade de l’intérieur. On lui annonce qu’il ne vivra que quelques années de plus. Cherchant à donner un sens à cette condamnation, Chen Zhen étudie la médecine chinoise. Cet intérêt se reflète dans ses travaux les plus récents, comme ce projet de jardin zen envahi d’organes en albâtre et d’instruments métalliques, dont la maquette est exposée à la Galleria Continua (Zen garden n°2, 2000).

L’artiste, qui a pourtant baigné dans l’univers médical, succombera finalement à sa maladie en 2000, à l’âge de 45 ans seulement.

Chen Zhen, Zen Garden n°2, 2000. Galleria Continua
Chen Zhen, Zen Garden n°2, 2000. Galleria Continua
Chen Zhen, Zen Garden n°2 (détail), 2000. Galleria Continua
Chen Zhen, Zen Garden n°2 (détail), 2000. Galleria Continua

Dans une pièce sombre de l’exposition est exposé Crystal Landscape of Inner Body (2000) un ensemble de viscères en verre posés sur une table transparente. Dans ce contexte intimiste, l’œuvre éclairée par le plafond révèle toute la fragilité humaine. L’humain est transparent et le temps passe à travers lui.

Chen Zhen, Crystal Landscape of inner body © ADAGP, Paris. Courtesy Galleria Continua
Chen Zhen, Crystal Landscape of inner body © ADAGP, Paris. Courtesy Galleria Continua
Le temps, l’existence

À la lumière de ce destin tragique, on comprend que le rapport au temps fut un élément constitutif du travail de Chen Zhen. En 1991, l’artiste saisissait déjà ce thème dans une forme qui a marqué les esprits et qui est devenu sa signature : « A World in / Out of the World » présentait un espace rempli d’objets du quotidien. Les objets comme les murs étaient recouverts d’une épaisse couche d’argile, pour former comme un tableau monochrome en trois dimensions. Les calligraphies chinoises présentes sur le mur disparaitront plus tard, dans une nouvelle installation en 2000, intitulée « Purification Room ». C’est cette pièce majeure qui a été recréée à l’étage de la Galleria Continua, avec l’aide de Xu Min, la veuve de l’artiste. Point d’orgue de l’exposition, cette installation iconique de 8 x 8 mètres, semble résumer toute la carrière de l’artiste. La fragilité de l’humanité, sa petitesse, est exprimée avec force et simplicité. Cette oeuvre nous amène peut-être 10 000 ans dans le futur, après l’extinction de l’espèce humaine, qui n’aura laissé derrière elle que des vestiges du quotidien, recouverts de boue. Au sein de cette uniformité terreuse, seules persistent les formes des objets industriels, comme des empreintes.

La Chine, le monde

Indéniablement profonde, l’Œuvre de Chen Zhen reste pourtant en prise avec la réalité du monde et ses problématiques. Dans une salle de l’exposition reliée au thème du conflit, on peut voir comment, avec la performance Jue Chang, Fifty Strokes to Each (1998), d’abord en Israël, puis à la Biennale de Venise de 1999, l’artiste tentait d’exorciser la violence de cette décennie par le battement répété des tambours bouddhiques.

Chen Zhen, Jue Chang, Fifty Strokes to Each, 1998, installation interactive. source Chen Zhen, Jue Chang, Fity Strokes to Each, Tel Aviv Museum of Art, 1998.
Chen Zhen, Jue Chang, Fifty Strokes to Each, 1998, installation interactive. source: Chen Zhen, Jue Chang, Fity Strokes to Each, Tel Aviv Museum of Art, 1998.

Anticipant sur les phénomènes géopolitiques actuels, Chen Zhen s’adressait au monde entier par le détour de sa culture chinoise. C’était le cas avec les installations « Round Table », ou « Même lit, rêves différents » évoquant les paradoxes de la coexistence humaine. En cela, son travail peut se rapprocher de ses contemporains, artistes chinois de la même génération, eux aussi exilés en Occident, comme Huang Yong Ping, Cai Guo-Qiang ou Ai Weiwei. Nés dans les années 1950, tous ces artistes ont fait de leur exil un moyen de porter des messages universels, en recontextualisant la culture matérielle chinoise. La question de la filiation ou de la fraternité entre artistes chinois hors de Chine est explorée par une autre exposition à venir au Musée de l’Immigration. « J’ai une famille » présentera, du 10 octobre 2023 au 18 février 2024, le travail de 10 artistes chinois installés en France.

En attendant, l’exposition rétrospective « Chen Zhen, Double Exil » vous attend à la Galleria Continua du Marais, au 87 rue du Temple (75003) jusqu’au 6 janvier 2024.
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